TROYES
Publié par Nicolas JONQUET, notaire à Troyes
Transmission d'entreprise, Entreprise DécryptagesSur cet aspect, il faut retenir de cette loi de finances 2019 qu’il n’y a pas eu de bouleversement majeur. Différents régimes fiscaux ont été légèrement modifiés sur le plan patrimonial. Si les taux et barèmes en matière de transmission n’ont pas été modifiés, on relève quelques dispositions qui nécessitent un éclairage pour les familles soucieuses de planification successorale.
Je pense tout d’abord au relèvement du seuil d’exonération partielle des transmissions à titre gratuit des parts de GFA et des biens ruraux donnés à bail à long terme. Sous certaines conditions (conservation de la propriété du bénéficiaire pendant 5 ans), une exonération de 75 % est accordée sur la valeur des biens transmis pour le calcul des droits. Le plafond était de 101 897 €. Il est désormais à 300 000 €. Au-delà, l’exonération est « réduite » à 50 %. Certaines familles détentrices de terres agricoles louées à bail à long terme y trouveront un intérêt certain, d’autres se dirigeront probablement vers ce type d’investissement afin de diversifier leur patrimoine et optimiser une transmission future.
Ensuite pour les personnes soucieuses d’aider une cause particulière, le champ d’exonération des droits de mutation à titre gratuit a été élargi à l’ensemble des établissements reconnu d’utilité publique. Si ces derniers répondent aux caractéristiques prévues par le Code général des impôts à l’article 200, alors les œuvres ou organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances française bénéficieront d’une exonération totale de droits. Près de 1 900 associations reconnues d’utilité publique pourraient bénéficier de ce régime.
En termes de stratégie patrimoniale, l’année 2019 pourrait être également l’année pour se remarier sans divorcer ! Je parle bien entendu – non pas de repasser par la mairie – mais de changer / aménager son régime matrimonial. Il est courant qu’un couple avançant en âge passe du régime de la séparation de biens à un régime de communauté (universel ou pas) en y précisant les modalités d’attribution d’un bien (ou plusieurs) lors du premier décès. Cet acte ne générait pas de taxes particulières jusqu’alors. A compter du 1er janvier 2020, tout apport d’un bien immobilier à une communauté entraînera la taxe de publicité foncière (0,715 %). De quoi précipiter certaines réflexions sur l’anticipation fiscale de sa succession. Attention à ne pas attendre le dernier moment, je rappelle qu’il existe un délai de 3 mois entre la notification aux enfants majeurs et la signature de l’acte et le changement effectif de son contrat de mariage. Autrement dit, la prise de décision devra avoir lieu avant les vacances d’été !
Enfin, le changement le plus important pour cette nouvelle année concerne le pacte Dutreil, mécanisme connu par certains chefs d’entreprise pour bénéficier d’une exonération importante de la valeur de leur outil de travail au jour de la transmission. Au lendemain de nouveaux débats parlementaires concernant la chasse aux niches fiscales, le « Dutreil-transmission » a encore de beaux jours devant lui car il est à mon sens un vrai paradis fiscal en matière de transmission à titre gratuit pour le chef d’entreprise ! Il ne reste plus qu’à démocratiser cet outil auprès de nos clients et lever les peurs/doutes que peuvent avoir les donateurs, d’autant que la loi de finance 2019 a modernisé et assoupli réellement les conditions pour bénéficier de ce régime fiscal de faveur.
Le pacte Dutreil offre un cadre fiscal très avantageux dans la mesure où l’assiette des droits de donation ou succession est réduite de ¾ pour n’imposer que 25 % de la valeur aux héritiers/donataires. Cumulé avec d’autres avantages fiscaux bien connus des praticiens, une société peut être transmise pour dix fois moins par rapport à une transmission subie. C’est pourquoi je me permets d’employer le terme de paradis fiscal.
De nombreuses conditions doivent être remplies mais sans rentrer dans le détail, la plupart des chefs d’entreprise ou dirigeants sont éligibles à ce régime de faveur sous réserve d’avoir au moins 34 % des droits de vote et 17 % des droits financiers. La contrainte principale repose sur une conservation dans la famille des titres de société ou de l’entreprise pendant deux périodes : une période de 2 ans avec un engagement collectif lors de laquelle la donation peut être réalisée puis une période de 4 ans où l’héritier/donataire doit conserver ses titres. Précision faite qu’il est tout à fait loisible de prévoir un pacte « préventif » sans pour autant donner l’entreprise. La loi de finance 2019 est venue élargir ce bénéfice à tout associé répondant à lui seul aux conditions d’application du régime et donc aux sociétés unipersonnelles (SASU / EURL / EARL). Ces associés apprécieront de conclure un engagement collectif avec eux -même ! Autre condition, une fonction de direction doit être exercée par l’un des signataires du pacte pendant l’engagement collectif de 2 ans mais également pendant les trois années suivant la transmission.
Il faut noter que la loi de finances assouplit certaines conditions relatives à l’apport de titres par le bénéficiaire de la transmission à une holding de reprise, ce qui facilite considérablement les opérations de Family Buy Out.
Enfin, le formalisme est désormais allégé : l’attestation annuelle remise à l’administration fiscale relative au bon respect des engagements et conditions est remplacée par une attestation à remettre à chaque fois que l’administration en fera la demande ou en toute fin des périodes d’engagements (i.e. au terme de l’engagement individuel). Il faudra simplement garder en tête cette échéance et ne pas la rater afin de ne pas se faire redresser sur 12 ans ! (Prescription de 6 ans après la fin des engagements).
Malgré la persistance de quelques verrous à la marge, bon nombre de chefs d’entreprises ont un intérêt certain à conclure un pacte Dutreil, quand bien même aucun projet de transmission ne soit à l’ordre du jour. Et pour ceux qui sont passés à côté, le pacte « réputé acquis » ou le pacte « post-mortem » permet de bénéficier de ce régime sous certaines conditions qui ont également été assouplies. Les hypothèses étant nombreuses, il est indispensable de faire un audit préalable pour vérifier quel « pacte » utiliser le moment venu.
En effet, une nouvelle procédure d’abus de droit pourra sanctionner les opérations ayant un motif principalement fiscal, en plus du but exclusivement qui existe aujourd’hui. Cette nouvelle définition issue de la dernière loi de finance prévue à l’article L. 64 A du Livre de Procédure Fiscale permet d’élargir le champ d’action de l’administration pour un contrôle encore plus sujet à sanction. Ces dispositions s’appliqueront aux rectifications notifiées à compter du 1er janvier 2021 portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020. Cette notion de « principalement » laisse place à une grande subjectivité de la part de l’administration et a fortiori des juges en créant un risque d’arbitraire, c’est ce qui inquiète une partie des professionnels de la gestion de patrimoine.
Néanmoins, sauf hypothèse d’actes fictifs, les techniques classiques de transmission, notamment en nue-propriété, sont toujours d’actualités et ne tombent pas sous le coup de la fraude. Par exemple, un donateur de 63 ans qui donne la nue-propriété d’un bien immobilier continuera de bénéficier d’un abattement de 40 % sur la valeur transmise. L’économie d’impôt par rapport à une situation passive lors d’une succession se justifie à raison de la valeur de cette nue-propriété transmise qui est valorisée selon un barème spécifique prévu par le Code général des impôts. Un récent communiqué de presse de Bercy a rassuré sur ce point.
D’autres techniques telle que la donation avant cession permettant d’éluder la plus-value sont quant à elles à utiliser avec plus de précautions, même s’il est de jurisprudence constante que le contribuable peut toujours choisir la solution la moins onéreuse entre deux options équivalentes.
En attendant plus de précisions dans les mois qui viennent, l’introduction de ce nouvel abus de droit va nécessiter plus que jamais de planifier sa stratégie de transmission avec un réel motif patrimonial afin de ne pas ouvrir le bal des premiers contrôles fiscaux sujets à pénalités et autres intérêts de retard.
Nicolas Jonquet,
Notaire à Troyes – Office Jonquet-Chaton